M. M. J'ai terminé mon cycle de perfectionnement au Conservatoire de Paris, dans la classe de Pierre-Yves Artaud, en juin dernier. L'une des principales finalités d'un tel cursus est de préparer les concours. Présélectionnée au concours de Kobé, nous avions commencé à préparer ensemble celui-ci, mais, moins motivée par certaines pièces que par d'autres, je me suis "dégonflée". Je l'ai finalement un peu regretté, tâchant de me ressaisir en vue des concours Lorenzo en septembre et Rampal en novembre, car il est vrai qu'il n'est pas de meilleur moyen de progresser que de se fixer des échéances de travail. T. M. : Pourquoi, parmi les divers concours, avez-vous choisi ce concours ? M. M. : Je me suis tout naturellement inscrite au concours Rampal car, contrairement à mes quatre amies finalistes à Genève, je n'avais pas participé au concours précédent, victime du quota de français imposé à la compétition. Surtout, je voulais participer au concours d'orchestre de l'Opéra de Paris, fixé au 20 novembre, immédiatement après le concours Rampal. Ceci aurait été impossible si j'étais allée à Genève. Ce fût d'ailleurs une très longue et rude journée, à l'issue de laquelle nous ne fûmes plus que deux en lice pour un ultime quatrième tour. Hélas... T. M. : Après votre interprétation du concerto de Jacques Ibert avec l'Ensemble orchestral de Paris, la salle se retrouva debout pour vous ovationne Pourquoi avez-vous préféré ce concerto à celui de Carl Nielsen ? Avez-vous une préférence pour ce type de musique française ? M. M. : J'aime beaucoup le concerto de Carl Nielsen, avec une très nette préférence pour le premier mouvement. Mais le mouvement lent de celui de Jacques Ibert vous fait à lui seul adorer l'ensemble du concerto. Je l'ai d'emblée choisi, en pensant que j'arriverais mieux à le défendre dans son intégralité. Je me suis peut-être un peu dit qu'étant française, je me devais de jouer de la musique française dans le cadre d'un concours international (une démarche que je n'adopterais pas nécessairement, en revanche, en vue un concert). T. M. : Vous jouiez par coeur. Cela vous convient-il et pensez-vous que cela soit préférable ? M. M. : Le par coeur étant imposé pour exécuter le concerto, je n'ai pas eu à l'envisager ou non. Son emploi devient de plus en plus fréquent dans les grands concours (une pièce à chaque tour à Kobé, tout le programme à Genève et Munich). Cela procure une sensation singulière, à la fois de liberté et de danger, un peu comme celle de faire du trapèze sans filet, ce qui est très exaltant mais interdit la moindre déconcentration. Jouer par coeur confère aux concertos ou pièces en solo une dimension que j'apprécie. Par contre, je ne le pratique pas en sonate, sauf obligation. T. M. : La candidate suivante interpréta le concerto de Carl Nielsen depuis l'extrémité de la scène, face au public et dos au chef d'orchestre. Là où les uns en déduisirent qu'elle n'était pas assez en relation avec l'orchestre et son chef, d'autres y virent la preuve qu'elle privilégiait la portée du son et le lien avec le public. Vous étiez au contraire toute tournée vers le chef d'orchestre en faisant musicalement corps avec sa direction. Quel est l'emplacement idéal ? M. M. : Je ne sais pas s'il existe un emplacement idéal du flûtiste ou, plus généralement, du soliste, pianiste excepté (pour lui, le problème est réglé car il est de profil !). À chacun de l'apprécier. Pour ma part, je préféré définir le concerto comme un dialogue entre le soliste et l'orchestre : je n'ai encore jamais dialogué en tournant le dos à mon interlocuteur! Il faut savoir prendre la parole, jouer "devant", quand la partition le requiert, mais aussi savoirjouer "avec" l'orchestre, voire parfois s'effacer. Bref, il s'agit d'une délicate alchimie, dont je n'ai que bien peu d'expérience. T. M. : Nous entendîmes beaucoup parler de la difficulté d'interprétation de la musique de Bach ou de celle de Mozart, ainsi que de la grande subjectivité de tout jugement. Est-ce si vrai ? Est-il plus difficile d'interpréter leur musique que celle de Jacques Ibert ou de Bruno Mantovani ? M. M. : Il faut une fois pour toutes briser ce genre de tabou, car jouer Bach ou Mozart est avant tout un pur bonheur. Se forger sa propre conception relève d'une lente et perpétuelle maturation, nourrie de multiples informations, de multiples expériences. De là, vous devez pouvoir convaincre, dès lors que vous restez en accord avec votre personnalité, votre sensibilité, même si vous proposez à un jury une version différente de la sienne. La démarche est forcément différente pour interpréter la pièce de Mantovani, puisqu'il s'agit de proposer une interprétation sans précédent. Il y a d'abord toute une dimension de découverte, d'exploration de la pièce. Il est amusant de voir comme, au final, un passage donné peut être interprété différemment d'une personne à l'autre. Je fus très curieuse de connaître les impressions de Bruno Mantovani après le concours. T. M.: Avez-vous le trac ? M. M. : J'ai, bien sûr, le trac ; c'est un paramètre avec lequel il faut compter. Je n'essaie surtout pas de l'éviter. Au contraire, plus je l'ai avant de jouer, plus vite il disparaît en scène. J'ai la chance de ne pas en être trop gênée, il me semble même nécessaire. S'il m'arrive de ne pas l'avoir du tout, je trouve cela curieux, me dis que je ne suis pas concentrée, que cela va mal se passer ... et en général, il arrive ! T. M. : Que pensez-vous de la non attribution des premier et deuxième prix et comment y réagissez-vous ? M. M. : Aussitôt après l'épreuve finale et pendant la délibération, de très nombreuses personnes sont venues me féliciter ou même me "remercier", en me disant : "c'était formidable, vous allez sûrement avoir le premier prix". J'étais, dans l'ensemble, satisfaite d'avoir pu exprimer musicalement ce que je voulais. L'expressivité des sentiments, avec le trio à cordes comme avec l'orchestre, m'avait semblé plutôt bonne. J'étais déjà si heureuse d'avoir joué à l'épreuve finale du concours Rampal ! Et, en plus, je voyais tous ces gens si enthousiastes, si chaleureux... L'émotion est alors intense, vous n'êtes pas dans votre état normal. Cependant, des bruits couraient déjà sur le manque d'homogénéité de cette épreuve, et je me disais que l'attribution second prix serait déjà une chose fantastique. Puis vint le verdict et, sur le moment, même si cela paraît un peu excessif, je le reçut comme une sanction, comme si l'on me déclarait coupable d'une faute que je n' avais pas commise. Je restais abasourdie, et mes proches, bien plus encore que moi, les pauvres! J'ai bien vite digéré l'évènement, car il n'est pas dans mon genre de ressasser, d'autant que plusieurs organisateurs de festivals, alors présents, m'invitent depuis. Pourquoi n'ai-je obtenu qu'un troisième prix ? Je ne le saurai jamais vraiment, puisque les seuls membres du jury venus me faire leurs commentaires sont ceux qui voulaient m'attribuer au moins un second prix ! Je ne sais que penser de l'absence de premier et second prix, mon rôle ne consistant ni à juger, ni à mettre de l'huile sur le feu. Ma vie ne s'est pas arrêtée là ! Retenons que je suis avec en tête, ce qui, pour moi, est beaucoup, et cela ira très bien. T. M. : Quels conseils donneriez-vous à un musicien pour préparer de tels concours ? M. M. : Ne surtout pas tout concentrer sur le concours, envisager une période studieuse en y aménageant des plages de détente, et ne pas hésiter à s'octroyer une journée complète de liberté à l'occasion ! Il faut travailler sans perdre la notion de plaisir (ce qui est si facile à dire !). Ayant passé quatre concours en deux mois (Lorenzo, Rampal et deux concours d'orchestre à Lausanne et Paris), j'ai beaucoup travaillé chez moi, en entreprenant de faire du sport presque tous les jours pour me changer les idées. Je dois reconnaître que je ne m'étais auparavant jamais sentie aussi sereine à l'approche de concours. Jeus l'impression d'évacuer toute la tension et toute l'énergie négative qui pourraient s'accumuler en redoutant l'échéance. Enfin, je conseillerais de prévoir des concerts de rodage : qu'une partie du programme puisse être prête deux ou trois semaines avant le début du concours permet de mieux gérer le temps T. M. :Au mois de mars, vous effectuerez une tournée aux États-Unis. Pouvez-vous nous en parler ? M. M. : Grâce au Concours international de Ville d'Avray, que j'ai remporté début avril, je suis invitée à Seattle pour y donner un récital, un concert de musique de chambre (Mozart, Haydn, Debussy, Roussel), et le concerto en sol majeur de Mozart avec l'orchestre symphonique d'Olympia. Inutile de vous dire combien je m'en réjouis ! Je dois également jouer la pièce pour flûte seule de Joël-François Durand, Par le feu recueilli, que je dois recevoir ces jours-ci. On m'a demandé de donner un programme de musique française (et oui!), et je tenais à y inclure une pièce contemporaine parmi celles de Leclair, Poulenc, Ibert, etc. M'apprêtant à rencontrer là-bas le compositeur, j'ai saisi l'opportunité dedécouvrir sa musique. T. M. : Quels sont vos projets ? M. M. : J'ai intégré mon poste à l'Orchestre de Chambre de Lausanne le 23 novembre. Pour le moment, j'en profite pleinement et exclusivement, ce qui me fait du bien! J'ai plusieurs projets de concerts, entre deux sessions d'orchestre : les deux semaines passées à Seattle, le Festival du jeune soliste, d'Antibes Juan-les-Pins, pour jouer un concerto avec l'orchestre de Nice, le Festival de Colmar, pour jouer en juillet les trois concertos de l'opus 10 de Vivaldi avec Les solistes de Moscou, le Festival de Radio France, à Montpellier, pour un récital cet été, plusieurs récitals de flûte et harpe et de sonates. Uan prochain, je jouerai Mémoriale de Boulez et un concerto de Mozart avec l'orchestre de Pau, une douzaine de fois le concerto pour flûte et harpe de Mozart avec Iris Torossian lors d'une tournée organisée par les Jeunesses Musicales de France, et La Traversière m'a invitée à la prochaine Convention de la flûte, qui est plus lointaine. Enfin, concernant l'enregistrement d'un disque, une proposition m'a été faite. Entretien réalisé pour Traversières Magazine en décembre 2001 |
La problématique des concours
Certains dentre vous ont peut-être lu l'article que j'ai écrit dons le numéro de décembre 2001 de La Lettre du Musicien au .sujet du récent Concours International JeanPierre Rampai. Cet article, écrit « à chaud » dans la semaine qui a suivi la finale du concours, était motivé par un résultat de toute évidence inapproprié à l'égard de Magali Mosnier-Karoui, qui méritait incontestablement beaucoup mieux qu'un .simple troisième prix. Ce sentiment d'injustice, visiblement partagé par l'immense majorité des gens présents ce jour-là Salle Gaveau, s'est d'ailleurs rapidement trouvé confirmé au vu des diverses réactions qui me sont parvenues à la suite de la parution de La Lettre du Musicien. Les propos que je tenais n'avaient rien de polémique - ils ne mettent par exemple nullement en cause la souveraineté du jury - mais soulevaient un certain nombre de problèmes importants relatifs à l'organisation tant matérielle qu'ortistique d'un tel événement. Ces difficultés que l'on a si souvent tendance à occulter car elles touchent à des problèmes de fond, se trouvaient soulignées d'une façon que j'espérais la plus objective possibl~, et par conséquent de manière assez directe. Cet article a donc pu sembler « dur » vis-à-vis du Concours Rampal. Mais, comme l'on dit, « qui aime bien châtie bien », et il me semblait nécessaire qu'un concours aussi important, aussi prestigieux et aussi indispensable au monde musical, puisse accepter ces critiques afin de tirer les leçons d'une situation aussi délicate. Les lignes qui suivent reprennent ici et là quelques passages de l'article, mais cherchent surtout à développer de manière plus profonde la problématique des concours. En d'autres temps et en d'autres circonstances, les résultats du 61 Concours International Jean-Pierre Rampal de la Ville de Paris n'auraient suscité qu'un « simple » sentiment d'injustice. Simple, mais malgré tout fort et douloureux pour Magali Mosnier, magnifique flûtiste et musicienne aussi raffinée qu'accomplie. Que le Premier Grand Prix ne lui soit pas attribué pouvait sembler dommage pour beaucoup, mais restait chose concevable. L'interprétation d'un quatuor de Mozart est toujours sujette à contestation ou à discussion, et il était tout à fait imaginable que le jury apprécie son talent en général de manières diverses. En revanche, un second prix lui paraissait vraiment acquis, tant pour ses qualités propres que pour la façon dont elle avait largement dominé l'épreuve. Claude Samuel, directeur du Centre Acanthes responsable de l'organisation du Concours, eut beau expliquer sur scène lors de la remise des prix qu'il est tout à fait possible de faire une carrière sans Premier Prix international, chacun sait que la différence de récompenses, à ce niveau, est lourde de conséquences. Il est exact que certains flûtistes d'exception n'ont pas eu recours aux concours internationaux pour lancer leur carrière - on pense notamment à Benoît Fromanger, Patrick Gallois... ou Jean-Pierre Rampal lui-même, quoique l'époque était différente. Mais pour tous les jeunes qui s'inscrivent aujourd'hui dans ces compétitions de plus en plus nombreuses pour la flûte, les résultats en eux-mêmes sont primordiaux. L'effet engendré par un premier prix est déjà immensément supérieur à celui provoqué par un deuxième, et un troisième ou un quatrième prix n'ont bien souvent que nettement moins de conséquences directes. La chose est indéniable et la lecture des palmarès des cinquante dernières années, à cet égard, est éloquente. Nous renvoyons pour cela les lecteurs aux grands dossiers sur les concours internationaux paru dans les numéros 62 et 69 de Traversières Magazine. Mais ce « simple » sentiment d'injustice se transforme en problème plus grave lorsque le motif invoqué pour une telle décision est une question de niveau : « conserver au Concours JeanPierre Rampal son niveau exceptionnel »...
Revenons à présent à ce fameux problème de niveau. Ne pas attribuer la ou les plus hautes récompenses lors d'une finale décevante afin de préserver l'image d'extrême qualité que revêt un grand concours s'explique parfaitement. On conçoit tout aussi parfaitement que cette situation devrait se révéler exceptionnelle : on imagine mal l'ultime épreuve d'un grand concours international avec uniquement des candidats « moyens ». Deux remarques s'imposent. La première touche directement le cas du concours de Paris. D'accord pour préserver un niveau, mais quel niveau dans la mesure où le jury lui-même - il est important de le préciser ! - explique que « tous les bons » avaient choisi d'aller ailleurs (c'est-à-dire à Genève) et où il était déjà déçu lors de la précédente édition en 1998 ? Question fort embarrassante mais qu'il est préférable de se poser maintenant, et à laquelle on ne peut apporter que trois réponses différentes : - soit le Concours J.P. Rampal traverse une mauvaise passe, et la prochaine édition sera magnifique. C'est possible. Mais l'on avait déjà dit cela en 1998, et l'on peut se demander pourquoi la chose se reproduit alors que les grands solistes qui composent le jury reconnaissent volontiers en d'autres circonstances que le niveau des jeunes flûtistes va sans cesse croissant - soit le Concours J.P. Rampal n'attire que des flûtistes de second ordre. Voilà qui non seulement est faux, mais serait franchement impensable ; - soit la question du « niveau » doit être reconsidérée. Et c'est bien davantage là que se situe le noeud du problème. Jean-Pierre Rampal disait dans son interview pour Traversières Magazine en 1998 : « La qualité et le niveau général sont tellement montés que l'on en sera bientôt à se demander comment établir les programmes éliminatoires de concours. ( ... ) À la limite, je dirais qu'il est difficile de faire mieux, et je ne vois vraiment pas jusqu'où on pourrait aller ! ». Voilà quand même qui en dit long ! Il était toujours favorable au fait que le Premier Prix soit décerné, et avait lui-même en partie regretté la seule entorse qu'il avait fait à ce point de vue en 1998... Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le problème du niveau est justement qu'il a d'une façon générale considérablement augmenté. À une époque où l'on n'a de cesse de rechercher la perfection, effectivement, jusqu'où peut-on aller ? Aujourd'hui, une faiblesse technique ou musicale, même très relative voire minime, prend facilement des proportions bien plus fortes. Non seulement la perfection n'est pas de ce monde, mais qui plus est, elle ne fait pas particulièrement bon ménage avec le naturel, le tempérament et la liber-té expressive. Autant de qualités emblématiques de J.P. Rampal, et qu'il privilégiait toujours. Comme le disait différemment Alain Marion : « soit tu es parfait, soit tu es intéressant ». Raccourci saisissant, mais certainement juste. On peut toujours rechercher chez un candidat la perfection absolue technique et sonore alliée à un style impeccable sur trois siècles de répertoire, avec le respect d'une tradition tout en incorporant les évolutions d'interprétations, et le tout basé sur une personnalité hors du commun avec le plus évident naturel. Mais dans cette optique, un jury aura inévitablement, d'épouvantables difficultés à exercer son rôle : parce qu'il cherche quelque chose qui n'a que très très peu de chances d'exister ! Le phénomène se vérifie d'ailleurs à maintes reprises : de plus en plus de concours, au fur et à mesure que l'on avance dans le temps, n'ont plus attribué de premiers prix. Les gens jouent pourtant plutôt mieux qu'auparavant et il faut bien admettre qu'à long et même à moyen terme, on ne pourra pas monter la barre éternellement ! C'est peut-être possible dans d'autres domaines, mais pour l'heure, reconnaissons qu'un(e) flûtiste reste toujours une personne humaine, qu'une flûte reste une flûte (encore une chose que J.P. Rampal aimait à rappeler) et que le concerto d'Ibert est toujours le concerto d'Ibert. Ces considérations nous amènent aux programmes des concours. S'il y a un champ de possibilités pour que les épreuves évoluent de manière significative et permettent ainsi des possibilités de jugement supérieures, c'est bien celui-ci. Le répertoire contemporain, de plus en plus riche, diversifié, impressionnant de difficulté technique et par définition nouveau, offre de substantiels critères supplémentaires d'appréciation. Mais l'on constate que les jeunes artistes maîtrisent la plupart du temps ces pages avec aisance. Et le fait se vérifie depuis longtemps : Jacques Ibert s'avouait lui-même déconcerté devant la facilité avec laquelle les élèves de Marcel Moyse exécutaient son concerto ! Ce genre de difficulté ne constitue donc pas un élément déterminant. Les concours ont donc fréquemment opté pour des « challenges » différents, soit en proposant des épreuves plus longues et plus denses, soit en exigeant l'exécution de mémoire. Parfois les deux ! Mais là encore, jusqu'où pourra-t-on aller ? J.P. Rampal avait, lui, une vision différente, souhaitant notamment que l'oeuvre écrite spécialement pour le concours soit brillante et virtuose mais pas « trop » difficile, afin que les candidats aient plus de latitude pour montrer ce qu'ils savent faire eux-mêmes de leur instrument, et pas seulement prouver qu'ils peuvent jouer ce qu'on leur impose. C'est effectivement là une manière de mieux cerner les personnalités musicales. Une autre consiste à varier davantage les programmes. Les trois derniers concours (Kobé, Paris, Genève) ont ainsi inclus des pages de musique de chambre. Le problème est de parvenir à le faire de manière homogène dans le cadre d'une épreuve de soliste, ce qui n'est pas évident. Enfin, les programmes peuvent laisser une liberté plus grande aux candidats avec des plages de répertoire au choix plus étendues. Un musicien y exprimera son goût personnel et son talent propre dans les meilleures conditions. Rappelons encore une fois les propos de J.P. Rampal, simples mais que l'on oublie trop facilement : « un musicien doit jouer ce qu'il aime ». Dans ce domaine, les possibilités sont grandes car le répertoire remis à jour depuis un demi-siècle, ajouté à la littérature contemporaine, est immense. Grâce à une vaste connaissance de ce répertoire, la perception qu'en ont les jeunes flûtistes s'est elle aussi renouvelée. Ils nhésitent pas à effectuer dans leurs programmes des juxtapositions originales, plaçant certaines pages en parallèle ou en opposition de façon personnelle et parfois audacieuse. Ce point met en lumière un autre élément capital des concours. Se doivent-ils d'être garants d'une tradition ou au contraire les témoins et les appréciateurs d'une évolution ? Probablement les deux, dira-t-on. Mais voilà qui est loin d'être évident. On le constate le plus facilement sur toute la littérature baroque, pour laquelle l'interprétation a connu durant les vingt-cinq dernières années une véritable révolution. Mais le problème se pose également sur les questions d'esthétique et d'ampleur sonores, sur la liberté de style... La composition du jury prend alors une i mportance supplémentaire. Un grand concours, par nature et par définition, se doit de rassembler à chaque fois un jury différent, large et différencié. Les flûtistes qui composent à l'heure actuelle ces « panels » sont certes exceptionnels et d'une compétence en la matière indiscutée, mais ils peuvent parfois se trouver d'obédiences, de style et/ou de cultures trop similaires. Ces situations peuvent rapidement s'avérer délicates, car les véritables appréciations se synthétisent à partir de points de vue qui doivent être à la base suffisamment différenciés. Jean-Pierre Rampal était justement une personnalité fédératrice, et qui a maintes fois su rassembler autour de lui des musiciens très différents. Le jury du premier concours, en 1980, incluait Maxence Larrieu, Alain Marion ou Ransom Wilson, mais aussi des gens tels que Conrad Klemm, Pol Birkelund ou Milan Munclinger, d'écoles bien différentes. Et il convient en outre de se rappeler que le rôle premier d'un jury n'est pas celui d'une recherche : il est celui d'une appréciation et d'un jugement, même si d'autres facteurs peuvent intervenir quant à d'éventuelles suppositions sur la carrière et le prestige à venir d'un éventuel lauréat. La remarque parailt anodine ou évidente ? Je me permets pourtant d'attirer l'attention sur ce point, qui me semble extrêmement important. Un concours international sera parfois l'occasion de révéler un talent exceptionnel. Mais il se doit toujours d'aider et de promouvoir les nouveaux virtuoses. Et l'on peut regretter à ce sujet que justement, les concours soient si peu relayés par les médias. Il y a là un très important problème de moyens alloués aux épreuves internationales, et qui justifierait par exemple que ces événements soient organisés non par une seule structure, mais en co-production avec d'autres acteurs de la vie artistique. Toujours est-il que le Concours J.P. Rampal tenait avec Magali Mosnier une vraie personnalité et un rare talent comme ceux dont on a besoin aujourd'hui, fait de joie musicale à l'état pur et d'enthousiasme communicatif. Un talent peutêtre isolé dans une compétition au niveau général moins relevé que ce qu'on pouvait espérer, mais tout aussi réel. Un talent susceptible, par une récompense appropriée, de redonner tout son éclat à l'épreuve auprès des jeunes. Un talent qui n'aurait pas déparé le moins du monde s'il s'était trouvé dans la finale de Genève, pourtant exceptionnelle ! Il n'a pas su le reconnaître, et pour ce qui est certainement un mauvais prétexte. Personne ne s'y est trompé. Je n'irai pas plus loin. Mais il est à espérer que les choses évoluent rapidement et de façon décisive afin que le Concours J.P. Rampal ne subisse pas de discrédit - ce qui serait quand même un comble pour le concours portant le nom du plus grand flûtiste de tous les temps et de celui qui a fait rêver tous les jeunes artistes. |